04 septembre 2019

Pour un charpentier traditionnel de la trempe de Jérémie Abbate, fabriquer une guitarde est déjà un cadeau en soi. Imaginez lorsque celle-ci devient en plus une œuvre permanente exposée dans le plus grand musée de charpente au monde, au Japon… Le bonheur.

« Une guitarde, c’est le genre de contrat qui arrive une ou deux fois dans la vie d’un charpentier comme moi. Et j’en ai fait deux cette année ! », lance en riant cet artisan français établi à Farnham depuis sept ans.

Dans le garage adjacent à sa résidence ou dans son atelier de Mansonville, il conçoit des pièces de charpente. Et il construit bien sûr des maisons.

Mais concevoir des guitardes lui permet de mettre en pratique ses connaissances pointues et de mettre en lumière un art ancien.

Un premier contrat lui a permis de le faire au rendez-vous Maestria de Montréal en mars dernier.

Puis, le Takenaka Carpentry Tools Museum de Kobe au Japon lui a fait une commande bien spéciale : une guitarde représentative de la France et de la méthode du « croche ».

Œuvre complexe 

C’est qu’on voit beaucoup de guitardes en France, particulièrement dans la vallée de la Loire. Ce type d’ouvrage en bois est apparu à la fin du 17e siècle à l’extérieur des maisons, explique M. Abbate. Surtout présente sous forme de lucarnes — d’innombrables formes —, la guitarde joue un rôle à la fois décoratif et structurel.

L’oeuvre (qu’on voit ici déposée à plat) trônera au Takenaka Carpentry Tools Museum de Kobe au Japon.

 

Cette pièce de charpente servait souvent, à l’époque, à démontrer l’étendue du talent d’un maître charpentier, un peu comme une signature.

Il faut savoir que la conception d’une guitarde passe par l’art du trait de charpente, un savoir-faire complexe né au 13e siècle et utilisé dans la conception des cathédrales, notamment. L’art du trait est d’ailleurs désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.

« Pour la guitarde, c’est le tracé qui est le plus difficile, ajoute le charpentier. On emploie la méthode du croche typique à la France. C’est vraiment la technique qu’on apprend à la fin de notre formation. »

400 heures de travail

La demande des Japonais lui est venue via l’École Pratique de Stéréotomie D’Ottawa avec qui il collabore. « Ça été un travail d’équipe avec Patrick Moore de l’École et Luc Adam, qui a construit le chapeau de la guitarde à Colmar en France. On a travaillé à 6000 kilomètres de distance avec succès », fait remarquer M. Abbate.

Près de 400 heures de travail lui ont été nécessaires pour créer cette guitarde mesurant 4 pieds sur 4 pieds, faite de chêne blanc et de noyer noir américain huilés. « Elle est exceptionnelle par son assemblage traditionnel où tout est en bois avec tenons et mortaises. »

Et contrairement aux dessins habituels, tracés au compas en deux dimensions, l’artisan a pu fabriquer la pièce en se guidant sur un croquis en 3D. Sur le marché, une telle guitarde vaudrait environ 45 000 $, selon son créateur.

Visiblement fier du résultat, l’homme de 39 ans rappelle que la guitarde a été conçue « pour être structurale et harmonieuse ». « Il fallait que ce soit réaliste. Après tout, c’est un musée de charpente ! »

Avant de prendre la direction du Japon, la guitarde sera d’abord exposée à l’École de pratique de la stéréotomie les 1er et 2 septembre. En novembre, Jérémie Abbate se rendra à Kobe pour l’installation permanente de son œuvre.

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